LE CANAL DES ALPINES,UN GENIE PROVENCAL

Article paru dans le N° 79- printemps 2022 de A3 Magazine Rayonnement du CNRS

Le Canal des Alpines

Alors qu’à la fin de l’été, une grande partie de la France est jaune et sèche, la Provence  pourtant terre de soleil –  reste plutôt verdoyante malgré les étés souvent torrides et secs. Les restrictions d’eau y sont très rares, juste quelques rappels à une consommation d’eau raisonnable. La réponse se trouve dans son histoire car, depuis longtemps les hommes ont réalisé des travaux pour transférer l’eau de là où il y en a, vers là où il n’y en a pas. C’est ce qui explique le paradoxe apparent d’une facile disposition de l’eau en Provence.

De l’époque romaine jusqu’ à la révolution

Au nord de la petite chaîne des Alpilles,  les  plus anciens aménagements remontent aux Romains qui ont laissé des monuments témoins de leur génie de bâtisseurs. On peut toujours voir, de part en part, les vestiges d’un aqueduc  souterrain qui collectait l’eau dans la nappe peu profonde de la Durance pour  alimenter des moulins à blé et apporter de l’eau à Arelate  (Arles) en toutes saisons. Cette collecte d’eau avait un autre avantage, celui de drainer les  paluds (marécages) et de permettre le développement agricole de la  zone ainsi asséchée.  Après les romains, le Moyen Age n’a pas laissé d’ouvrages remarquables. Il faut attendre la Renaissance pour que reprenne la construction de canaux de grande envergure.

En 1554, Adam de Craponne, un des plus grands ingénieurs de son époque, obtient l’autorisation de dériver l’eau de la Durance, pour construire un canal depuis  la Roque-d’Anthéron jusqu’à Salon. Ce canal fait tourner les moulins mais permet également d’irriguer les cultures. L’eau de la Durance devient ainsi source de prospérité pour la Provence. Cette première expérience attire l’attention des propriétaires et de l’administration. En 1640, la famille de Guise fait de pressantes démarches pour qu’un canal irrigue ses terres d’Eygalières, mais sans résultat.

Puis en 1770, Jean de Dieu de Boisgelin, archevêque d’Aix-en-Provence, est nommé président du parlement de Provence. C’est un homme ouvert et soucieux de ses administrés. Dès sa prise de fonctions il veut « arroser une terre qui périt dans la soif » .Le 13 décembre 1772, le parlement  de Provence décide la construction d’un canal entre Mallemort, sur la Durance, et Tarascon, sur le Rhône. Ce canal arrosera toutes les communes disséminées au nord des Alpilles. L ‘archevêque fait de fréquents voyage à Paris. Il est convaincant. En avril 1773, le conseil royal approuve la décision du parlement d’Aix, octroie un confortable budget pour la construction et autorise la vente de l’eau du futur canal aux communes qui le désirent. Le projet est confié à l’ingénieur Brun. Il s’appellera le canal de Boisgelin.

Les travaux sont menés activement pendant 10 ans. En 1783, 18,5 km sont creusés à la main. Le canal est large et profond .Un magnifique tunnel de 335m est percé sous un piton rocheux. Les  travaux se poursuivent encore pendant 765 m jusqu’à une butte  rocheuse difficile à creuser à 20 km de Saint-Rémy-de-Provence.  Et là,  tout s’arrête, les caisses sont vides. La partie terminée est mise en eau. Mais une opposition semble même se déclare contre le canal. Certains agriculteurs disent que le canal est nuisible ! Remplaçant le projet d’une construction  au nord des Alpilles, il y a création d’une branche vers le sud pour suppléer à l’insuffisance du canal de Craponne.

Puis arrive la révolution qui n’apporte qu’un nom et un nom qui questionne ! En effet, un  acte administratif en 1791 donne un nom générique au 2 branches nord et sud : le canal des Alpines. Pourquoi Alpines et non Alpilles ? Peut-être en référence à l’adjectif « alpin » ou bien encore une erreur d’écriture ? Mais les travaux d’avancement du canal sont au point mort.

Du 19e siècle à nos jours

L’histoire ne  reprend qu’en 1816 ! Cette année-là en effet, le comte Christophe de Villeneuve, préfet des Bouches-du-Rhône -convaincu de la nécessité de terminer le canal – relance la construction sur le flanc nord des Alpilles. Mais ce n’est qu’en 1839, par arrêté royal, que la construction redémarre réellement. Plusieurs compagnies font faillite, il y a des expropriations difficiles et des pluies torrentielles. Le canal avance très lentement. En 1851, Le canal s’arrête à 1 km de St Rémy-de-Provence. Enfin la construction est prise en main enfin par une société sérieuse, la compagnie Courtet, qui termine la branche de St-Rémy-de-Provence en 1860. Une autre branche plus au nord, dite de Rognonas, est construite par la même compagnie entre 1854 et 1875. La construction du canal des Alpines aura duré un siècle !

Rapidement des cultures comme celles des graines pour les semences se développent et deviennent un facteur majeur de développement de la région  nouvellement irriguée. C’est le cas en particulier pour Saint-Rémy-de-Provence qui en fait un négoce international.

Pour parer au manque d’eau de la Durance pendant les années de sécheresse, en 1960, une réserve agricole est constituée dans le lac de Serre-Ponçon dont l’objet premier est de produire de l’électricité. Le  canal EDF en partant de ce lac apporte l’eau en Provence. Deux prises d’eau y sont aménagées pour alimenter le canal des Alpines, en remplacement de celle sur de la Durance.

Le canal des Alpilles fait 120 km de long . Il est gravitaire c’est-à-dire  qu’en contournant les reliefs, il descend de 110m d’altitude au pied du Lubéron  à moins de 10m dans la vallée du Rhône .Il arrose 20 communes situées entre le nord des Alpilles, la Durance et le Rhône. Contrairement à une rivière, son débit est régulé pour  qu’il soit plein au  maximum en été et souvent à sec en hiver. Son débit maximal sur les 2 branches est de 20m3/s. Tout le long de son parcours, l’eau du canal des Alpines seramifie en  filioles  (petits canaux dérivés d’un plus grand) vers les terrains à arroser, qui constituent ainsi un maillage hydraulique serré sur tout le territoire. Le canal est large au début du parcours, se rétrécit au fur et à mesure qu’il distribue son eau pour l’irrigation, et se termine par de petites rigoles qui se jettent dans des canaux de drainage qui  eux-mêmes vont finir dans la Méditerranée.

De nombreux ouvrages d’art, liés à la longue construction du canal, constituent une vitrine historique du patrimoine.  Les ouvrages  sont imposants sur les 18,5 premiers kilomètres de sa construction où les conditions financières étaient bonnes : tunnel, aqueduc, ponts en dos d’âne pour permettre le passage des barques. Ensuite les ouvrages sont plus modestes, se sont surtout des ponts droits et des chutes pour épouser des pentes.

Aqueduc de Vallat Madame à Sénas

Les paysages de Provence ont normalement une végétation plutôt sèche de type garrigue. La présence de l’irrigation transforme le paysage en une végétation plus dense et arborée et une agriculture plus diversifiée. De façon surprenante pour la Provence, la culture en herbe et fourrage de haute qualité y occupe une place importante. Sur les berges du canal pousse une flore riche de type humide sur fond d’un tapis d’herbe verte.

La canal des Alpines près de St-Rémy

Les berges du canal vertes, ombragées, fraiches, bordées de paysages souvent très beaux et isolées de la circulation automobile  procurent un cadre très apprécié des promeneurs, joggeurs et vélocyclistes  qui en  ont pris possession malgré les panneaux  « accès interdit ». Cette tendance s’est beaucoup développée pendant la pandémie.

C’est dans ce contexte que l’Association des Amis du Canal des Alpines rassemble tous ceux qui souhaitent que cet atout de Saint-Rémy profite à ses habitants  et à ses visiteurs et soit valorisé tout en préservant sa beauté et son rôle premier d’irrigation.

Par Marie-Gabrielle Schweighofer – Présidente de l’association des amis du canal des Alpines